Les nouvelles Danaïdes (Eugène SCRIBE - Jean-Henri DUPIN)

Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 3 décembre 1817.

 

Personnages

 

DANAÜS, tenant une pension de demoiselles à Chaillot

M. PATIENT, ancien prétendant des filles de Danaüs

ARLEQUIN-ÉLANCÉ, fils d’Égyptus, tenant une pension de garçons à Chaillot

INNOCENTIN, frère d’Arlequin et fils d’Égyptus habillé en innocent

BAZILE, frère d’Arlequin et fils d’Égyptus habillé en innocent

IGNACE, frère d’Arlequin et fils d’Égyptus habillé en innocent

L’AMOUR, maître à danser de la pension de Danaüs

EUPHROSINE, fille de Danaüs

JULIA, fille de Danaüs

ASPASIE, fille de Danaüs

AGLAÉ, fille de Danaüs

NICARETTE, fille de Danaüs

FLAVIA, fille de Danaüs

ALEXANDRA, fille de Danaüs

AUTRES FILS D’ÉGYPTUS

AUTRES FILLES DE DANAÜS

 

À Chaillot, dans la maison d’éducation de Danaüs.

 

Une vaste chambre à coucher formant salon. Une alcôve dans le fond ; de chaque côté, sur les premiers plans, trois petites portes qui communiquent à des chambres. Sur les derniers plans et plus près de l’alcôve, à droite et à gauche, une porte plus grande donnant sur le dehors.

 

 

Scène première

 

Au lever du rideau, EUPHROSINE, JULIA, ASPASIE, AGLAÉ, NICARETTE, FLAVIA et ALEXANDRA, sont rangées sur deux lignes et font des battements

 

TOUTES.

Air : Bon voyage, cher Dumolet. (Le Départ pour Saint-Malo.)

Déployons donc tous nos talents,
Puisqu’à l’étude
Il faut que l’on prélude,
Déployons donc tous nos talents ;
Allons, mes sœurs, faisons des battements.

JULIA.

Toujours en l’air et toujours en cadence,
Et danser seule ! Ah ! Quel ennui, mes sœurs !
Pour moi j’aurais plus de cœur à la danse,
Si je voyais arriver des danseurs.

TOUTES.

Déployons donc tous nos talents, etc.

JULIA.

Ah ! je n’en puis plus...

TOUTES.

Ni moi !

EUPHROSINE.

Certainement, mesdemoiselles, je vous conseille de vous plaindre ; lorsque M. Danaüs, notre père, le premier maître de pension de Chaillot, sue sang et eau pour donner à ses filles une éducation à la mode...

JULIA.

À la bonne heure ! mais toujours danser...

EUPHROSINE.

Montrez-moi donc un pensionnat un peu distingué où l’on fasse autre chose... Apprenez, mesdemoiselles, que la danse donne tout...

Air : J’ai vu le Parnasse des dames. (Rien de trop.)

Autrefois simples ménagères,
Des talents faisant peu de cas.
Les femmes ne cultivaient guères
Les beaux-arts et les entrechats ;
Maintenant une jeune fille
Peut, grâce à l’usage adopté,
Faire une mère de famille
Ou débuter à la Gaîté.

Et c’est toujours fort agréable, parce que quand on a, comme notre père, cinquante demoiselles à marier, on n’est pas sûre d’être tous les jours à la noce !... Mais qui vient là ?...

JULIA, regardant vers le dehors.

Ah ! quel bonheur ! c’est notre petit maître de danse qui est si gentil... et qui nous apporte toujours des romances, des bonbons et des nouvelles... il descend de son wiski.

NICARETTE.

Par exemple ! il est bien étonnant que nous ne connaissions pas encore son nom...

EUPHROSINE.

C’est vrai, à peine si l’on sait comment il s’est introduit ici... et pourtant il a la confiance de toute la maison... mais je suis bien sûre qu’il la mérite.

 

 

Scène II

 

EUPHROSINE, JULIA, ASPASIE, AGLAÉ, NICARETTE, FLAVIA, ALEXANDRA, L’AMOUR, en maître à danser

 

L’AMOUR.

Air : Tantôt reine ou bergère. (Madame Favart.)

Fuyons
Les lois sévères
De nos sages austères ;
Genfilles écolières,
Prenez de mes leçons.

J’ai franchi les espaces
Et, rival de Zéphyr,
J’accours auprès des Grâces
Sur l’aile du plaisir.

TOUTES.

Fuyons
Les lois sévères.
De nos sages austères ;
Fidèles écolières,
Prenons de ses leçons.

L’AMOUR.

Bonjour, mes toutes belles... tous les jours plus jolies !

À Euphrosine.

Vous êtes divine.

À Aspasie.

Vous avez là une garniture délicieuse !

À Julia.

Tenez-vous donc droite !...

À toutes.

Comment vont les battements ? avons-nous bien étudié ?...

EUPHROSINE.

Vous arrivez bien tard, monsieur !

L’AMOUR.

Oui, je crois que l’heure de la leçon est passée.

JULIA.

Oh ! c’est égal, voilà mon cachet.

ASPASIE.

Voilà le mien.

AGLAÉ et LES AUTRES.

Et moi le mien.

L’AMOUR.

Eh bien ! c’est comme si la leçon était prise... il n’y a pas de temps perdu.

EUPHROSINE.

Oh ! mon Dieu, non !... nous pouvons causer maintenant.

L’AMOUR.

Ce qui m’a retardé, c’est que je viens de chez M. Égyptus, ce maître de pension qui a cinquante garçons.

JULIA.

Comment ! vous nous donnez des leçons et vous leur en donnez aussi... eux qui sont nos ennemis !

L’AMOUR.

Eh ! mon Dieu ! oui... la danse est de tous les partis... c’est comme rameur !

Air : Ah ! que de chagrins dans la vie. (Lantara.)

Dans mon art, avec indulgence,
Je m’accommode à tous les goûts,
Et tous les jours gaîment je danse
Chez eux aussi bien que chez vous !
Ah ! si chacun, dans le siècle où nous sommes,
Négligeait Mars pour cet art plus humain,
Bientôt d’accord, on verrait tous les hommes
Danser en rond en se donnant la main.

EUPHROSINE.

Êtes-vous content de vos nouveaux élèves ?

ASPASIE.

Sont-ils aimables ?

AGLAÉ.

Sont-ils gais ?

JULIA.

Qu’est-ce qu’ils disent... qu’est-ce qu’ils font ?

L’AMOUR.

Ils sont fort bien... mais ils ont des défauts ! Par exemple ils sont curieux... oh ! curieux... vous ne pouvez vous imaginer... ils m’ont fait mille questions sur vous, sur leurs jolies voisines ! C’est ainsi qu’ils vous appellent... Mais dites-moi donc, pourquoi leur père et le vôtre s’en veulent-ils ainsi ?... Est-ce jalousie de métier ou de paternité ?...

JULIA.

Ah ! ça, ça ne s’explique pas, c’est dans le sang.

Air du vaudeville du Petit Courrier.

Se nuire est leur unique espoir,
Sans cesse, en tous lieux, à toute heure,
L’un toujours rit quand l’autre pleure ;
Quand l’un dit blanc, l’autre dit noir ;
Et notre père, en bon apôtre,
Ne fit enfin, nous le croyons,
Que des filles, parce que l’autre
N’a jamais fait que des garçons.

EUPHROSINE.

Fi ! mademoiselle, est-ce que vous devez ainsi parler de vos parents... mon papa le saura.

JULIA.

Voilà comme vous êtes ! toujours rapportant... parce que vous voulez être mariée avant les autres... mais ça ne réussira pas... parce que je connais les intentions secrètes de M. Danaüs.

TOUTES.

Et moi aussi...

JULIA.

On nous a souvent demandées en mariage, surtout M. Patient, ce petit notaire de Chaillot, qui depuis vingt ans attend l’une de nous... mais mon papa a refusé parce qu’il ne veut pas nous marier en détail...

ASPASIE.

Mais je crois que j’entends gronder...

TOUTES.

Oh ! c’est lui... c’est mon papa !

EUPHROSINE.

Allons au-devant de lui.

Elles sortent.

 

 

Scène III

 

L’AMOUR, seul

 

L’Amour, maître à danser... et dans une pension de demoiselles encore ! c’est charmant...

Air : Fidèle ami de notre enfance.

Moi je suis d’humeur inconstante,
Et l’on me voit, le même jour,
Dans les salons et sous la tente,
Au village, comme à la cour !
J’érige en décrets mes caprices
Et c’est à qui se soumettra,
Depuis les cœurs les plus novices
Jusques aux chœurs de l’Opéra.

 

 

Scène IV

 

L’AMOUR, DANAÜS, entouré de ses FILLES

 

TOUTES LES FILLES.

C’est mon papa !... c’est mon papa...

DANAÜS.

Bonjour, mes enfants...

À l’Amour.

C’est vous, mon cher maître ?... il paraît que la leçon est finie...

L’AMOUR.

Oh ! ça n’a pas été long !... ces demoiselles ont une facilité...

DANAÜS.

Où sont mes quarante-trois autres filles ?

EUPHROSINE.

Elles sont dans le jardin ; voulez-vous qu’on les avertisse !

DANAÜS.

Non ! c’est bien assez de vous !... J’ai à vous parler et je veux que l’on m’entende, si c’est possible.

Air de La Dansomanie.

Ils sont passés, ces temps si doux
Où vous étiez bonnes, gentilles,
Où sur mes paternels genoux
Sautillaient mes cinquante filles !
Je ne vante pas mes bontés ;
Mais que d’amour, de sacrifices
Et que de soins vous me coûtez,
Sans compter les mois (Bis.) de nourrices.

JULIA.

Quel bonhomme de père !

DANAÜS.

Mes filles... que pensez-vous des fils du voisin Égyptus ?

L’AMOUR, à demi-voix, aux jeunes filles.

Dites-en du mal pour ne pas le mettre en colère !...

Air du vaudeville de Voltaire chez Ninon.

EUPHROSINE.

On dit qu’ils sont laids et mal faits.

DANAÜS.

Bien.

JULIA.

D’une bravoure équivoque.

DANAÜS.

Bien.

EUPHROSINE.

Ce sont de mauvais sujets.

DANAÜS.

C’est ça.

JULIA.

Des fats dont on se moque.

L’AMOUR.

Cinquante pédants...

DANAÜS.

Compte rond.

L’AMOUR.

Qui s’estiment, dans leur folie,
Des gens d’esprit, parce qu’ils sont
Dix de plus qu’à l’Académie.

DANAÜS.

À merveille !... de sorte que vous ne vous sentiriez point de répugnance à les délester ?...

ASPASIE.

Point du tout...

DANAÜS.

À les abhorrer ?...

JULIA.

Ça ne nous coûtera rien.

DANAÜS.

Eh bien ! mes enfants, vous les épouserez aujourd’hui... je vous marie toutes en masse.

TOUTES.

Ah ! quel bonheur, nous sommes mariées !

EUPHROSINE.

Ah çà ! vous êtes donc raccommodé avec eux ?

DANAÜS.

Au contraire... je les exècre...

JULIA.

Et vous nous les donnez pour époux.

DANAÜS.

Oui...

Air de Monsieur Vautour.

Contemplant, dès vos jeunes ans,
Votre humeur indomptable et fière,
Déjà vous étiez, mes enfants,
L’espoir, l’orgueil de votre père.
Votre caractère mutin
Faisait voir à mon âme active,
Ce doux hymen dans le lointain,
Et ma vengeance en perspective.

JULIA.

Mon papa, vous avez en nous une confiance...

DANAÜS.

Que vous justifierez...

EUPHROSINE.

Le fait est qu’il faut que vous comptiez bien sur notre caractère...

DANAÜS.

J’y compte... c’est celui de votre pauvre mère, et votre grand-père, qui m’en voulait, savait bien ce qu’il faisait en me la donnant !... Dans une heure vous serez mariées.

TOUTES.

Dans une heure...

DANAÜS, montrant M. Patient qui arrive.

Pour commencer, voici déjà M. Patient, le petit notaire de Chaillot, qui vient rédiger le contrat.

L’AMOUR.

Un notaire ! Voilà de ces figures qui me font toujours fuir...

 

 

Scène V

 

L’AMOUR, DANAÜS, EUPHROSINE, JULIA, ASPASIE, AGLAÉ, NICARETTE, FLAVIA, ALEXANDRA,  M. PATIENT

 

M. PATIENT.

Air : Tique, tique, tac, et tin, tin, tin.

Oui, clopin
Clopant, j’arrive enfin ;
Moi, je trouve,
Et maint exemple le prouve,
Que pour aller en zigzag un p’tit brin
L’on n’en fait pas moins bien son chemin.

Corbleu ! dans la famille où nous sommes
Nul ne bronche, et cependant on voit,
De père en fils, boiter tous les hommes
Et les femmes ne vont pas plus droit.

Oui, clopin
Clopant, j’arrive enfin, etc.

TOUTES, faisant la révérence.

Bonjour, monsieur Patient.

M. PATIENT.

Bonjour, mesdemoiselles... bonjour, mademoiselle Euphrosine, vous savez que j’ai toujours eu un penchant pour vous...

DANAÜS.

C’est bon... Mesdemoiselles, laissez-nous, nous avons à parler d’affaires importantes ; allez vous préparer, et après la cérémonie, je vous donnerai des instructions sur la manière, de vous conduire ce soir !...

TOUTES, baissant les yeux en faisant la révérence.

Oui, mon papa ! Adieu, monsieur Patient, adieu, monsieur Patient.

Air de la Monaco.

Qu’il est aimable ! Qu’il est charmant !
Un notaire
À toujours su me plaire ;
Qu’il est aimable, mes sœurs, vraiment
Un notaire est un homme charmant.

Elles sortent avec l’Amour.

 

 

Scène VI

 

DANAÜS, M. PATIENT

 

M. PATIENT.

Qu’ont donc ces demoiselles ?

DANAÜS.

C’est que je vous ai fait venir pour le contrat !

M. PATIENT.

Air du vaudeville de Partie carrée.

Toujours garçon, toujours notaire,
Que de contrats me passent par la main !
Moi qui suis commis, cher beau-père,
Sur les frontières de l’hymen,
Par mon état je suis posté de sorte
Que nul, sans moi, n’y saurait pénétrer...
Or, il est dur, quand on ouvre la porte,
De ne pouvoir entrer. (Bis.)

DANAÜS.

Décidément, je prends cinquante beau-fils.

M. PATIENT.

J’espère que j’en serai...

DANAÜS.

Non, pas encore, mais demain vous pouvez y compter.

M. PATIENT.

Comment demain, si vous mariez toutes ces demoiselle ? aujourd’hui ?

DANAÜS.

Qu’est-ce que ça fait ? un jour de plus ou de moins.

M. PATIENT.

C’est que ce jour-là est l’essentiel...

DANAÜS.

Silence, on vous attend là-dedans pour rédiger le contrat... allez et dissimulez.

M. PATIENT.

Mais enfin, ce contrat, comment faut-il le faire ?

DANAÜS.

Faites-le en dissimulant... Voilà justement un de mes gendres.

M. PATIENT.

C’est un beau brun.

Patient sort.

 

 

Scène VII

 

ARLEQUIN, DANAÜS

 

ARLEQUIN.

Bonjour, beau-père !

DANAÜS.

Bonjour, mon cher fils, que je suis aise de vous tenir !

ARLEQUIN, à part.

Il a l’air bonhomme.

Haut.

J’ai laissé notre papa Égyptus et mes frères qui sont à parler d’affaires.

DANAÜS.

Et vous n’y entendez rien aux affaires ?

ARLEQUIN.

Au contraire... voyez-vous, nous avons pris ces demoiselles entièrement sur parole... ça n’est pas que je me défie de vous... mais on est bien aise quand on fait un marché...

DANAÜS.

Voulez-vous les voir ?

ARLEQUIN.

Toutes, ce serait un peu long... je mécontenterai d’un échantillon.

DANAÜS.

C’est trop juste... voici justement celle que je vous destine...

ARLEQUIN.

Ah ! tant mieux, parce que si ça ne me convenait pas... vous pourriez me changer...

DANAÜS.

Comme vous voudrez... ça m’est égal, le compte y est aussi.

 

 

Scène VIII

 

EUPHROSINE, ARLEQUIN, DANAÜS

 

DANAÜS.

Allons, mademoiselle, avancez et faites la révérence à votre prétendu.

EUPHROSINE.

Mais, mon papa, que voulez-vous que je lui dise ?...

DANAÜS.

Contraignez-vous et soyez aimable, je vous le permets... pour ce matin seulement.

ARLEQUIN.

Comme elle est jolie !...

DANAÜS.

Vous trouvez...

D’un air sombre.

Eh bien ! dépêchez-vous de la regarder !

ARLEQUIN.

Pourquoi donc se dépêcher ?

EUPHROSINE.

Ah ! mon Dieu ! monsieur, ne vous pressez pas... tant que cela vous fera plaisir... dès que mes parents le permettent.

ARLEQUIN.

Quelle douceur et quelle modestie !

Air : Au temps passé.

De contempler leurs épouses nouvelles
Mes frères m’ont donné l’emploi.
Ah ! dites moi !... vos sœurs, comment sont-elles ?

EUPHROSINE.

Mais nous nous ressemblons, je croi.

ARLEQUIN.

Oh ! je n’ai plus, ambassadeur fidèle,
Aucun doute sur leurs appas,
Car ce qu’on voit ici, mademoiselle,
Répond assez de ce qu’on ne voit pas.

EUPHROSINE, à part.

Qu’est-ce que disait donc mon père ? Il est fort aimable.

DANAÜS.

Allons, allons, assez de cérémonies comme cela !... Jurons que les deux familles ne feront plus que cent têtes, dans un bonnet... On vous attend à l’autel... on ne saurait trop embellir le court espace de la vie ; je vous conseille de vous en donner aujourd’hui.

Air du vaudeville du Méléagre Champenois.

Allons, enfants, commencez la fête,
Dépêchez-vous, c’est un fort bon conseil ;
Et que gaîment ici tout s’apprête
Pour célébrer cet hymen sans pareil.

ARLEQUIN.

Rien qu’en famille on dînera, j’espère ;
Que les parents y soient seuls invités,
Deux ou trois cents, car vous savez, beau-père,
Qu’Amour se plaît en petits comités.

Ensemble.

DANAÜS.

Allons, enfants, commencez la fête,
Dépêchez-vous, c’est un fort bon conseil ; etc.

ARLEQUIN et EUPHROSINE.

Allons, allons, commençons la fête.
Dépêchons-nous, c’est un fort bon conseil ; etc.

Ils sortent ; au moment où Danaüs va les suivre, M. Patient entre et l’arrête par son habit.

 

 

Scène IX

 

DANAÜS, M. PATIENT

 

M. PATIENT.

Eh bien ! dites donc ? nous en avons fait de belles... J’ai fait ce contrat en dissimulant, comme nous en étions convenus ; savez-vous ce qui en est arrivé ?... c’est qu’ils sont à l’autel !... il y en a même déjà la moitié de mariés...

DANAÜS.

C’est ce qu’il faut.

M. PATIENT.

Mais tout à l’heure, elles le seront toutes !...

DANAÜS.

Laissez-les faire, vous dis-je !

M. PATIENT.

Eh ! parbleu, laissez-les faire, c’est bien ce que je fais aussi.

DANAÜS.

Air : Lise épouse l’ beau Gernance. (Fanchon la vielleuse.)

Demain nous rirons, j’espère.

M. PATIENT.

Mais en attendant, beau-père,
D’autres obtiennent leur foi,
Et l’on se moque de moi.

DANAÜS.

Si j’en crois de bons apôtres,
Va, bien loin d’être dupé,
Qui voit marier les autres
N’est pas le plus attrapé.

Qu’est-ce que vous tenez là ?

M. PATIENT.

C’est un papier qu’on m’a dit de vous remettre.

DANAÜS, lisant.

Mémoire du tailleur... fourni à M. Danaüs cinquante habits de mariées ; plus, pour le lendemain, cinquante habits de veuves...

À part.

Je sais ce que c’est.

M. PATIENT.

Comment, cinquante habits de veuves, qu’est-ce que ça veut donc dire ?...

UN DOMESTIQUE, apportant un coffret.

Monsieur, c’est ce coffret que vous m’avez dit de descendre du grenier.

DANAÜS, d’un air sinistre.

C’est bon !...

M. PATIENT, à part.

Ah çà... à qui en a-t-il donc ?

DANAÜS.

Ce coffret me vient d’un grand savant, d’un homme de mérite... c’était mon frère pourtant... toute sa vie, il s’est livré aux sciences exactes, il a fait son chemin... il est mort sans fortune, mais il m’a laissé ce talisman.

M. PATIENT.

Ah ! c’est un talisman.

DANAÜS.

Personne ne nous écoute ?

 

 

Scène X

 

DANAÜS, M. PATIENT, L’AMOUR, paraissant sous la table

 

L’AMOUR.

Excepté moi.

DANAÜS, ouvrant le coffre.

Regardez...

M. PATIENT.

Tiens ! des clochettes ! Ah ! comme en voilà !...

DANAÜS.

Apprenez que ce sont des clochettes mécaniques... qui ont la vertu de sonner toutes les fois qu’une femme écoute un propos d’amour.

M. PATIENT.

Voilà qui est merveilleux... il y a des maris à qui les oreilles doivent diablement tinter...

DANAÜS.

Il y en a qui en sont devenus sourds.

M. PATIENT.

Je conçois ça... le mouvement perpétuel... Au fait, quand ils sont sourds, ils n’entendent plus rien... c’est une grâce d’état... Parbleu ! l’inventeur d’une pareille découverte a dû faire fortune...

DANAÜS.

Au contraire... mon frère n’a jamais pu en vendre... les femmes ont empêché cette mode-là de prendre...

L’AMOUR, à part.

Je le crois bien, nous y avons mis bon ordre...

DANAÜS.

Elles ont toutes persuadé à leurs maris que le timbre en était désagréable et qu’elles sonnaient faux...

L’AMOUR, à part.

Je crois plutôt qu’elles sonnaient juste.

M. PATIENT.

Eh bien, voyons, ces habits de veuves... ces clochettes, qu’en comptez-vous faire ? car vous êtes toujours sournois en diable.

DANAÜS.

Apprenez donc enfin... puisqu’il faut vous le dire...

On entend en dehors l’air : Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille.

Qu’entends-je ? voilà déjà le mariage célébré... plus tard je vous dirai le reste. Adieu ! mon cher Patient, dormez tranquille, et, à demain... mon cher gendre.

M. PATIENT.

Vous croyez donc que je peux encore attendre en toute sûreté, et que d’ici à demain ?...

DANAÜS.

Demain vous trouverez bien des choses de faites.

L’AMOUR.

Et nous, courons avertir mes protégés.

Il disparaît.

 

 

Scène XI

 

DANAÜS, TOUTES SES FILLES, vêtues en mariées, avec le bouquet et la toque

 

L’orchestre joue l’air : Ma Fanchette est charmante. Marche.

DANAÜS, quand elles sont entrées huit ou dix, deux par deux.

Assez, assez !... je n’ai besoin que de celles-ci pour le moment !

Allant vers la porte qu’il referme.

Tout à l’heure, mesdemoiselles, ce sera votre tour.

L’orchestre joue l’air : Jeunes filles qu’on marie, etc. Sur cette ritournelle, Danaüs les amène toutes, d’un air mystérieux, au bord du théâtre.

Mes filles !

Air : Dorilas, contre moi des femmes. (Pour et Contre.)

Sur cet hymen, que mon étoile
A vu former entre nos deux maisons,
Il faut donc déchirer le voile...

TOUTES.

Déchirez-le, papa, nous écoutons.

DANAÜS.

Écartez-moi...

TOUTES.

Papa, nous écoutons.

DANAÜS.

J’ignore ici, malgré mon zèle,
Si tout le monde m’entendra.

TOUTES.

Nous essaierons... mais une demoiselle
Ne doit jamais rien comprendre à cela !

DANAÜS, d’un air concentré.

Cette pompe... ces époux... ce mariage, tout cela ne vous donne-t-il pas à penser ?

TOUTES.

Oui, mon papa.

DANAÜS, de l’air le plus sinistre.

Ne vous doutez-vous pas de ce qui vous attend ?

TOUTES.

Oui, mon papa.

DANAÜS.

Et vous êtes résignées à tout ?

TOUTES.

Oui, mon papa...

DANAÜS.

Et vous me jurez soumission aveugle, car, songez-y, mes filles, règle générale on doit obéir à son papa... toujours... à son mari... quand ça vous convient !

TOUTES.

Oui, mon papa...

DANAÜS.

Je suis contenu, et je veux avant tout vous faire un présent de noces...

Ouvrant le coffret qui est sur la table.

Ce sont de petites clochettes.

TOUTES.

Des clochettes !

DANAÜS.

Oui, mes filles, les clochettes sont à la mode dans ce moment-ci ! je ne sais pas trop pourquoi ! mais enfin je vous recommande celles-ci ! elles me seront le sûr garant de votre obéissance et de ce que j’attends de vous.

JULIA.

Mais enfin, papa, qu’exigez-vous donc ? car voilà une heure que vous bavardez sans aller au fait.

DANAÜS.

Je déteste vos maris... vous les détestez aussi... nous les détestons tous !... c’est déjà une bonne avance, et pour peu qu’ils vous payent de retour, vous voyez d’ici quel ménage ça va faire.

EUPHROSINE.

Vous le saviez bien en nous les donnant !

DANAÜS.

Sans doute ! je le savais ! puisque j’ai sur votre sort interrogé les dieux... la sibylle de la rue de Tournon... ils m’ont tous prédit qu’un jour vos maris vous battraient...

TOUTES.

Nous battraient !...

DANAÜS.

Voilà à quoi l’on est exposé dans l’état de femme !... Dans l’état de veuve, au contraire, mes filles, quelle différence !... quelle liberté !

EUPHROSINE.

Ah çà ! papa, qu’est-ce que vous voulez donc dire avec vos veuves ?

DANAÜS.

Je veux dire que c’est à présent le seul état honnête et décent qui vous convienne, et que demain matin il faut que vous le soyez toutes...

JULIA.

Comment, papa... le jour de nos noces !

DANAÜS.

Ceux qui s’y connaissent, mes filles, disent qu’il n’y a que deux bons jours dans le mariage, le premier et le dernier, et, grâce au problème que vient de résoudre ma bonté paternelle, j’ai cumulé le plus d’agrément dans le moins de temps possible.

JULIA.

Air : Ainsi jadis un grand prophète.

Qu’exigez-vous, quelles épreuves !
Faut-il commettre un tel forfait ?

EUPHROSINE.

Et déjà faut-il être veuves !
Oubliez ce fatal projet.

ASPASIE.

En nous ayez plus de confiance.

JULIA.

Et laissez-nous les quinze ou vingt ans ;
Puisque vous aimez la vengeance
Le plaisir durera plus longtemps.

EUPHROSINE.

Mais après un coup comme celui-là, qui voudra de nous pour femmes ?

JULIA.

Croyez-vous que ce soit encourageant ?

NICARETTE.

Où irons-nous ?

DANAÜS.

Où, mes filles ! près d’ici... près de Chaillot... dans l’allée des veuves où j’ai une maison de campagne ! et là débarrassés, vous de vos maris et moi de mes gendres, nous passerons nos jours dans les Champs-Élysées et dans un véritable paradis.

JULIA.

Ce sera un enfer que ce paradis-là.

DANAÜS.

J’ai parlé... il suffit ! qu’on obéisse ! Surtout n’oubliez pas que je vous ordonne la plus grande circonspection auprès de vos époux.

EUPHROSINE.

Il me semble cependant, mon père...

DANAÜS.

J’ai mes raisons... et j’ai d’autres vues sur vous. Je vous ordonne de déposer vos clochettes sur vos tables et d’observer à la lettre ce que je vous ai prescrit... Si l’une de vous osait y manquer... je le saurais.

Air de La Turque.

Oui, tel est l’ordre formel
De ce cœur paternel
Qui vous estime et vous aime ;
Dans le moment solennel
Montrer un cœur cruel,
C’est le point essentiel.

TOUTES.

Ciel !

DANAÜS.

Près de vos sœurs, je porte à l’instant même
Et mes complots
Ainsi que mes grelots.

Ensemble.

DANAÜS.

Oui, tel est l’ordre formel, etc.

TOUTES.

Quoi ! c’est là l’ordre formel
De œ cœur paternel
Qui nous estime et nous aime !
Dans le moment solennel
Montrer un cœur cruel,
C’est le point essentiel.
Ciel !

Danaüs sort.

 

 

Scène XII

 

EUPHROSINE, JULIA, ASPASIE, AGLAÉ, NICARETTE, FLAVIA, ALEXANDRA

 

EUPHROSINE.

Quel père !... Eh bien ! mesdemoiselles, qu’en dites-vous ?

JULIA.

Je dis que mon père a parlé... que mon parti est pris et que je sais ce qu’il me reste à faire.

ASPASIE.

Moi, de même.

AGLAÉ.

Moi, de même.

EUPHROSINE.

Quoi ! vous pourriez !... vos époux, qui à peine... Vous auriez ce cœur-là...

JULIA.

Ce que nous ferons ne vous regarde pas... vous êtes la maîtresse !

EUPHROSINE.

Je vous entends, cruelle !

JULIA.

Cruelle, pas plus que vous !

EUPHROSINE.

Voyez déjà quelles ombres nous environnent.

Air : Aussitôt que la lumière.

Oui, loin de cette demeure
D’effroi le soleil s’enfuit.

JULIA.

Eh ! non pas ! c’est que c’est l’heure
Où d’ordinaire il fait nuit...
Que coule un serment à faire ?
Jurons toutes, jurons bien ;
Mes sœurs, il est notre père...

EUPHROSINE, à part.

Moi je ne jure de rien.

TOUTES.

Lui seul l’ordonne, ma chère ;
Jurons toutes, jurons bien,
Puisqu’on fait c’est notre père ;
Nous ne répondons de rien.

EUPHROSINE.

On vient ! ce sont eux... Oui, c’est mon mari et sept ou huit de mes beaux-frères qui se dirigent de ce côté... je ne pourrais soutenir leur présence, éloignons-nous jusqu’au moment fatal.

Elles sortent.

JULIA, revenant sur ses pas.

Eh bien ! Où ai-je la tête ?... et ma clochette que j’oubliais déjà... pourvu qu’elle ne s’abîme pas ! bien ! courons rejoindre mes sœurs.

Elle sort.

 

 

Scène XIII

 

ARLEQUIN et SIX INNOCENTS conduits par L’AMOUR

 

L’AMOUR.

Entrez, j’ai déjà conduit vos autres frères dans leur appartement...

ARLEQUIN.

Oui, il n’y a plus ici que l’état-major de la famille.

L’AMOUR.

Entrez dans ces chambres qui vous sont destinées et soyez sans crainte.

ARLEQUIN.

Comment ! il serait vrai ! sangodémi !... Je n’ai plus une goutte de sang dans les veines...

Air du Lendemain.

Ô fureur inhumaine !
Quelles femmes avons-nous ?

BAZILE.

J’aimais déjà la mienne,
Elle avait un air si doux !

ARLEQUIN.

En ce jour, que l’on consacre
Aux plaisirs les plus touchants,
On va revoir le massacre
Des innocents !

Pauvre Arlequin ! pourquoi n’es-tu pas resté garçon...

BAZILE.

Le fait est que d’être tué le jour de ses noces, ça n’est pas gai !

ARLEQUIN.

À peine marié ce matin... voilà déjà les tracas du ménage qui commencent.

L’AMOUR.

Qu’importe ! ne suis-je pas avec vous ?

ARLEQUIN.

Un maître à danser... une belle protection... ça ne m’empêchera pas de sauter le pas... au contraire... Ah ! voilà un air de noce... c’est fait de nous !

L’AMOUR.

C’est votre beau-père qui conduit ici vos épouses.

ARLEQUIN.

Je me sauve.

L’AMOUR.

Non pas ! Restez...

Impérieusement.

je le veux... je veille sur vous, et ma protection en vaut bien une autre...

ARLEQUIN.

À la bonne heure !... mais tâchez de ne pas perdre la tête, car vous voyez qu’il y va de la nôtre.

L’Amour sort.

 

 

Scène XIV

 

ARLEQUIN, SIX INNOCENTS, L’AMOUR, PLUSIEURS MARIÉES, conduites par DANAÜS

 

DANAÜS.

Air : Notre vieille mère Ragonde.

Suivez-moi, mesdemoiselles.

ARLEQUIN, bas.

Je devine leurs projets.

DANAÜS, à ses gendres.

Vous, de mes mains paternelles,
Mes beau-fils, recevez-les.

LES DANAÏDES et ARLEQUIN.

Ah ! quelle frayeur j’éprouve !
On peut bien trembler, je crois,
Comme nous, lorsqu’on s’y trouve
Et pour la première fois.

DANAÜS, bas.

Allons ! point de faiblesses !
Songez à vos promesses.

ARLEQUIN.

Quel moment (Bis.)
Pour le sentiment !

TOUS.

Oui, l’on peut bien trembler, je crois,
Quand c’est pour la première fois.

 

 

Scène XV

 

ARLEQUIN, SIX INNOCENTS, L’AMOUR, PLUSIEURS MARIÉES, DANAÜS, M. PATIENT, accourant

 

M. PATIENT.

Même air.

Quelles nouvelles fatales !
Vos filles, le croiriez-vous ?
Dans les chambres nuptiales
Suivent gaiement leurs époux.

DANAÜS, à M. Patient.

C’est la, vous pouvez m’en croire,
Là que je les attendais.
Votre bonheur, votre gloire
Sont assurés désormais ;
Allons ! de l’allégresse,
Comptez sur ma promesse.

M. PATIENT, à part.

Quel moment (Bis.)
Pour le sentiment !

TOUS.

Quel moment (Bis.)
Pour le sentiment !
Oui, l’on peut bien trembler, je crois,
Quand c’est pour la première fois.

Ils sortent tous, excepté Arlequin et Euphrosine ; les portes se referment.

 

 

Scène XVI

 

ARLEQUIN, EUPHROSINE

 

EUPHROSINE, posant la clochette sur la table ; à part.

Posons là notre clochette puisque mon papa le veut. Conçoit-on qu’on ait des sœurs comme les miennes, elles ont toutes juré... Je n’aurai jamais ce courage... passe pour être sévère, à la bonne heure !... mais être cruelle... et à notre âge... oh ! ça ne se peut pas... je me sens une frayeur...

ARLEQUIN, assis dans un fauteuil, et tremblant de tous ses membres ; à part.

Oh ! oh ! comme il fait froid dans cette chambre !

EUPHROSINE, à part.

Eh bien !... il ne me parle pas... ça n’est pourtant pas à moi à lui adresser la parole...

ARLEQUIN, la regardant, et à part.

Il est pourtant bien dommage qu’une si vilaine femme soit aussi jolie.

EUPHROSINE, de même.

Est-ce qu’il dormirait déjà ?... ce serait bien heureux, par exemple !

Elle fait un pas vers lui. Arlequin effrayé se lève de son fauteuil et fait un pas en reculant.

ARLEQUIN.

Madame Arlequin... vous vouliez me parler...

EUPHROSINE.

Non certainement... vous reposiez peut-être ?

ARLEQUIN, à part.

C’est ça... nous y voilà.

Avec colère.

Non, madame, je ne dors jamais... je n’ai jamais envie de dormir... mais que ça ne vous empêche pas... Ah ! par exemple, avant de me dire bonsoir... je vous demanderai un livre... je lis toujours deux ou trois petites heures.

EUPHROSINE.

Ah ! que c’est heureux ! nous avons là justement quelques brochures nouvelles...

ARLEQUIN.

Qu’est-ce que c’est ?

EUPHROSINE.

Les Macchabées...

ARLEQUIN.

Ah ! ah !

EUPHROSINE.

Les Comices d’Athènes.

ARLEQUIN.

Ah ! ah !

EUPHROSINE.

La Clochette.

ARLEQUIN.

Ah çà ! ma bonne amie, je croyais vous avoir dit que je ne voulais pas dormir...

À part.

Quelle trahison ! Voyez-vous la perfidie d’aller choisir exprès ce qu’il y a de plus fort.

Haut.

Je ne veux pas de ça.

EUPHROSINE.

Est-il absolument nécessaire que vous lisiez ?...

ARLEQUIN.

Mais dame ! je ne vois pas à quoi je pourrais employer le temps... à moins que vous ne fussiez assez aimable... mais je n’ose vous le demander... Vous devez savoir danser... et si vous vouliez exécuter seulement, devant moi, une petite gavotte... une petite bacchanale... ça dissipe... ça m’est égal que ce soit un peu long... quand même cela serait trop long !

EUPHROSINE.

Ah ! ma foi non, c’est ennuyeux.

ARLEQUIN.

Combien je vous remercie de votre complaisance... il est difficile de mettre plus de grâce... et si vous vouliez, ma bonne amie, m’accorder une dernière demande... me regarder un peu...

Air : De ton baiser la douceur passagère.

Serait-il vrai ? votre cœur implacable
Veut se venger... Que vous ai-je donc fait ?
Si vous aimer, hélas ! est un forfait,
Plus je vous vois plus je deviens coupable.

Il se met à genoux.

EUPHROSINE.

Mon Dieu ! que lui dire et que lui répondre ?

ARLEQUIN.

Si vous vouliez me donner un peu cette main en signe de pardon...

EUPHROSINE.

Mon père me l’a défendu, mais qui lui dira ?...

Elle abandonne sn main à Arlequin qui l’embrasse, la clochette qui est sur la table se soulève et sonne un coup.

ARLEQUIN.

Qu’est-ce que c’est ?

Arlequin recommence, la clochette sonne de nouveau.

Hein, qui est là ?

Au même instant on entend sonner à la porte de la première chambre à droite et, successivement, de la deuxième, troisième, quatrième, cinquième, excepté de la sixième.

ARLEQUIN.

Qu’est-ce qui appelle ? Qu’est-ce que vous voulez ?

Air : En tableaux à faire.

Mon Dieu ! quel fracas soudain !
On s’entend à peine ;
Qui sonne ainsi le tocsin ?
Et quel phénomène
Ici, pour me rendre sourd,
Ressuscite dans ce jour
La Samaritaine ?

 

 

Scène XVII

 

ARLEQUIN, EUPHROSINE, DANAÜS

 

DANAÜS.

Air : Quel carillon !

Quel carillon !
Qu’entends-je, mesdemoiselles ?
Quel carillon
Retentit dans la maison !
Je suis trahi,
Et mes clochettes fidèles
Disent ici
Que l’on m’a désobéi.

 

 

Scène XVIII

 

ARLEQUIN, EUPHROSINE, DANAÜS, M. PATIENT, puis L’AMOUR

 

M. PATIENT.

Quel carillon !
Que veulent ces demoiselles ?
Quel carillon
Retentit dans la maison !

Imaginez-vous, beau-père, que l’on sonne dans toutes les chambres, excepté dans celle de mademoiselle Julia.

DANAÜS.

Qu’entends-je ? une sur cinquante !

M. PATIENT.

Vous avez pris là une belle précaution.

L’AMOUR, en son costume de Dieu, entre avec une poignée de clochettes.

Air du Pot de Fleurs.

C’est moi, moi seul dont la présence
A déjoué tous tes projets ;
De l’amour et de sa puissance
D’ici contemple les effets.

Le théâtre change et l’on aperçoit tous les maris groupés auprès de leurs femmes et enchaînés avec des fleurs.

EUPHROSINE.

Aux dames Grecques n’en déplaise,
Nous en savons plus qu’elles aujourd’hui ;
Voilà pour fixer un mari
Comment s’y prend une Française.

Elle fait un geste et tous les maris tombent aux genoux de leurs femmes.

DANAÜS.

Et toi aussi, Julia ! toi dont la clochette n’avait pas sonné...

JULIA.

Je l’avais bien enveloppée.

M. PATIENT.

Ah çà ! dites donc, je comptais sur un petit enfer...

DANAÏS.

Ils l’auront dans leurs ménages.

L’orchestre joue l’air : Gai, gai, mariez-vous, etc., et Arlequin danse l’Allemande.

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